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En littérature et civilisation Le colloque international « Témoignage, mémoire et construction de l’identité » invite à explorer la manière dont le témoignage, la mémoire et l’identité s’entrelacent dans la littérature, les arts et l’histoire. Ces trois notions sont profondément liées : le témoignage, en transmettant une expérience vécue, devient un vecteur de mémoire, qui façonne à son tour la construction de l’identité à la croisée de la continuité et de la rupture, entre héritage et réinvention. Ce colloque propose d’examiner ces dynamiques à travers une diversité de corpus littéraire, artistique, anthropologique, linguistique et autres, allant des récits autobiographiques aux fictions historiques, en passant par les textes postcoloniaux et les témoignages de guerre. La littérature s’attache à transmettre la mémoire des grands événements. Les Chroniques de Jean Froissart, par exemple, racontent la guerre de Cent Ans en mêlant faits historiques et regard personnel. Avec la Renaissance, le regard se tourne davantage vers l’individu. Montaigne, dans ses Essais, explore la construction de son identité à travers l’introspection. Il inaugure une nouvelle manière de témoigner : l’écriture devient un outil de connaissance de soi. Le théâtre classique met en scène des personnages déchirés entre la raison, la passion et les contraintes sociales. Chez Racine ou Corneille, le conflit entre le devoir et le désir reflète une quête identitaire. Les personnages sont pris dans un tiraillement intérieur qui renvoie à la construction complexe de l’identité dans une société codifiée. Au siècle des Lumières, la littérature devient un espace de remise en question des normes sociales et politiques. Rousseau, dans ses Confessions, revendique une vérité intime : il se met à nu, persuadé que la sincérité de son témoignage contribuera à une meilleure compréhension de la nature humaine. Cette quête de soi par l’écriture marque une étape clé dans la construction de l’identité moderne. Le XIXe siècle approfondit cette exploration du lien entre l’individu et la société. Hugo et Lamartine, par exemple, mêlent le personnel et le collectif : leurs poèmes traduisent une quête intérieure tout en s’inscrivant dans une mémoire historique et politique. Les romans de Balzac, Zola ou Flaubert, quant à eux, mettent en lumière les déterminismes sociaux et psychologiques qui façonnent l’identité des personnages. L’écriture devient alors un moyen de témoigner des inégalités et des contradictions de la société. Plus proche de nous, Annie Ernaux, dans Les Années, mêle mémoire individuelle et mémoire collective, offrant une vision personnelle de l’histoire partagée par une génération. La mémoire, qu’elle soit individuelle ou collective, joue un rôle central dans la manière dont une société se souvient, se construit et se redéfinit. Les récits personnels et collectifs sont des piliers de la mémoire historique et culturelle. Les mémoires de la Seconde Guerre mondiale et de la guerre d’Algérie révèlent la tension entre mémoire individuelle et mémoire collective. Les témoignages de ces périodes, souvent marqués par la violence et les silences, illustrent la difficulté de construire une mémoire nationale unifiée. Les guerres mondiales, les traumatismes et les crises identitaires, font émerger une littérature du témoignage direct. La Douleur de Marguerite Duras explore l’attente et la souffrance face à l’absence de nouvelles après la guerre. Les récits d’anciens combattants ou de victimes de conflits mettent en lumière la difficulté de concilier mémoire personnelle et mémoire officielle, tout en questionnant l’idée même de réconciliation. Des écrivains comme Georges Perec ou Albert Memmi ont utilisé le témoignage pour explorer la mémoire des violences vécues. Cette tension entre mémoire intime et mémoire collective se retrouve dans les œuvres postcoloniales d’auteurs comme Assia Djebar, Tahar Ben Jelloun, Amin Maalouf, Marie N’Diaye ou Maryse Condé, qui interrogent la mémoire coloniale et la quête d’identité. Aimé Césaire, dans son Cahier d’un retour au pays natal, exprime la blessure de la colonisation tout en réaffirmant une identité antillaise réappropriée. Dans Texaco, Patrick Chamoiseau redonne une voix à la mémoire des Antilles, tandis que Cheikh Hamidou Kane, dans L’Aventure ambiguë, explore l’identité africaine face à la colonisation. L’Orientalisme d’Edward Said met en lumière la construction de l’identité orientale par le regard occidental. Il montre comment les récits coloniaux façonnent la mémoire et l’identité des sociétés postcoloniales. À travers ces récits, la mémoire individuelle rejoint la mémoire collective, contribuant à une réflexion sur la fragilité de l’identité humaine. Les arts français, qu’il s’agisse de peinture, de sculpture, ou d’architecture, ont toujours été le reflet des époques qu’ils traversent. Dès le Moyen Âge, l’art est marqué par la foi et le sacré. Les cathédrales gothiques sont des témoignages de la dévotion collective et les manuscrits enluminés qui témoignent de la vie religieuse et aristocratique, en immortalisant ces moments du quotidien. Les Très riches heures du Duc de Berry, créent une mémoire collective où la vie terrestre trouve aussi sa place aux côtés du divin. La Renaissance marque un tournant en plaçant l’individu au cœur de la création artistique, comme en témoignent les portraits de François Clouet ou l’architecture qui suit cette évolution : le château de Chambord, avec son mélange de styles français et italiens, incarne cette volonté d’affirmer une identité royale tout en s’ouvrant à l’influence européenne. L’art devient un moyen de montrer la grandeur du pouvoir, mais aussi la complexité de l’être humain. Sous Louis XIV, l’art devient un outil de propagande politique, affirmant la puissance royale à travers le faste de Versailles et la musique de cour. L’art est ici au service de la monarchie : il construit une identité nationale centrée sur la figure du roi, garant de l’ordre et de la splendeur du royaume. À partir du XIXème siècle, Les arts visuels et le cinéma jouent un rôle crucial dans la transmission de la mémoire. La photographie et le film se rallient à la peinture pour témoigner des traumatismes historiques et sociaux. Si La Liberté guidant le peuple de Delacroix immortalise un moment clé de l’histoire révolutionnaire française, si Guernica de Picasso dénonce les horreurs de la guerre civile espagnole, des films comme La Haine de Mathieu Kassovitz, Indigènes de Rachid Bouchareb, ou Réfléchir la mémoire de Kader Attia permettent d’intégrer les mémoires individuelles dans un récit collectif, offrant une plateforme pour les voix marginalisées. L’art devient ainsi un espace de confrontation avec le passé et un outil de résistance face à l’oubli. Cette réflexion sur la mémoire et l’identité s’inscrit également dans le champ de la philosophie. Maurice Halbwachs, en introduisant la notion de « mémoire collective », a montré comment une société façonne et entretient des récits fondateurs, influençant la manière dont elle se perçoit et se projette dans l’avenir. Quant à Paul Ricœur, il souligne que l’identité se construit dans une tension entre souvenir et oubli. Jan Assmann explore d’autres dimensions en distinguant dans La mémoire culturelle, la mémoire communicative (orale, courte durée) de la mémoire culturelle (inscrite dans des textes, monuments, rituels). Il souligne le rôle des pratiques culturelles dans la transmission de la mémoire à travers les générations, construisant ainsi une identité collective durable tels que les récits interactifs ou les projets numériques qui émergent et participent également à la construction de la mémoire et de l’identité. En didactique et linguistique, la langue constitue à la fois le vecteur et l’archive de la mémoire, tant individuelle que collective. Elle joue en effet un rôle essentiel dans la fixation et la transmission des témoignages au fil du temps et à travers l’espace. En façonnant le souvenir, la langue en conditionne l’interprétation (par exemple dans les récits de vie, les témoignages historiques, les traditions orales, les écrits journalistiques, etc.). L’axe linguistique permet d’explorer les mécanismes par lesquels le langage structure et transmet cette mémoire. Il éclaire son rôle dans la construction du témoignage et son inscription mémorielle. Le témoignage, qu’il soit oral ou écrit, a pour objectif de restituer une expérience passée en lui conférant une valeur d’authenticité. Cependant, cette restitution n’est jamais entièrement objective, elle engage en effet des choix lexicaux, des stratégies discursives qui influencent la perception du récit par le récepteur. Il en découle des interrogations inévitables telles : - Quels types de structures grammaticales traduisent une mémoire subjective ou émotionnelle ( ex: "Je me souviens que....", "Il me semble que ...")? - Comment la négation grammaticale modifie-t-elle la force ou la crédibilité d'un témoignage? - Quels outils grammaticaux (temps, pronoms, connecteurs logiques...) participent à la construction d'un récit de soi, donc d’une mémoire personnelle ? Le colloque s’interrogera donc sur ces processus de construction identitaire à travers la littérature, l’art, le témoignage et la mémoire. Comment le témoignage façonne-t-il la mémoire collective ? De quelle manière la mémoire individuelle dialogue-t-elle avec les récits historiques officiels ? Quelles sont les implications politiques et sociales de cette mémoire ? Ces différentes interrogations invitent à croiser les approches littéraires, linguistiques, historiques, sociologiques, anthropologiques et artistiques, pour mieux comprendre comment le passé façonne le présent et l’identité collective.

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